mercredi, mars 08, 2006

Chirac est mort ... politiquement

Reprise le l'article du Monde, et pendant ce temps là, le procès de HLM continu

"C'est le 29 mai 2005 que Chirac est mort politiquement et pour de bon, cette fois"
LE MONDE | 08.03.06 | 14h05

De 1986 à 2006 - depuis la mort de Malik Oussekine qui ébranla le premier ministre de l'époque jusqu'à la récente crise des banlieues qui laissa sans voix l'actuel chef de l'Etat -, c'est un portrait à la pointe sèche que Franz-Olivier Giesbert dresse de Jacques Chirac.

Dans La Tragédie du président, scènes de la vie politique (Flammarion, 414 p., 20 ¤), le directeur du Point dresse la chronique de ces vingt années qui auront vu le président de la République échouer et triompher, durer et rebondir, pratiquer avec une égale énergie " rodomontades" et " renoncements". Jusqu'à cette fin de règne dominée par l'affrontement sans merci entre deux des rares survivants de la "chiraquie" : Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy.

Nourri de nombreux entretiens, recueillis au fil des années, avec les principaux acteurs, ce récit est assassin pour certains, cruel pour beaucoup. Nous en publions des bonnes feuilles consacrées à l'" affaire Clearstream", " grossière manipulation" contre le président de l'UMP, et à la formation du gouvernement Villepin, au lendemain de l'échec du référendum sur l'Europe.

L'AFFAIRE CLEARSTREAM (2004-2005)

Quand il arrive au ministère de l'intérieur (en mars 2004), Dominique de Villepin ouvre tout de suite la chasse au Sarkozy. (...) Cet homme si épris de lui-même croit encore, comme le disait Talleyrand de Chateaubriand, qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui. Il garde toujours aussi quelque chose de baroque et d'exalté. Mais enfin, il s'applique à démonter la machine laissée par son successeur tout en essayant, bien sûr, de lui rafler son fonds de commerce. A la manoeuvre, il fait le poids et apparaît vite comme l'une des personnalités clés de l'Etat-Chirac. (...)

C'est dans ce contexte qu'éclate l'affaire Clearstream. Au printemps 2004, le juge Renaud Van Ruymbeke reçoit une lettre anonyme. Encore une. Il en commence la lecture par acquit de conscience quand il comprend qu'elle dénonce, numéros de comptes bancaires à la clé, un gigantesque système de blanchiment d'argent sale. Tout tourne autour de Clearstream, la banque des banques, dont le siège est au Luxembourg. Une chambre de compensation qui, au lieu de transférer physiquement l'argent entre les banques, ne règle que les soldes des échanges. Résultat : on ne peut pas suivre le cheminement des sommes. Anonymat garanti. Sûrs qu'on ne trouvera jamais la trace de leurs versements illicites, des particuliers se sont mis ainsi à utiliser Clearstream comme une "blanchisseuse".

La lettre anonyme accuse plusieurs personnalités du monde des affaires d'avoir perçu, via Clearstream, des fonds occultes, liés notamment à la vente par Thomson CSF, en 1991, de six frégates à Taïwan, dossier qu'ont eu en charge, ce qui tombe à pic, le juge Renaud Van Ruymbeke et sa collègue Dominique de Talancé. Parmi les cibles, Philippe Delmas, vice-président d'Airbus. Le 7 mai 2004, il est mis en garde à vue mais, après maintes vérifications, aucun élément n'est retenu contre lui. Pas la moindre trace de commission illicite ni de compte bancaire au Luxembourg.

Au cours de son audition, Philippe Delmas émet l'hypothèse que cette affaire serait une manipulation liée à la guerre qui oppose alors Philippe Camus, le patron d'EADS, la maison mère, à Noël Forgeard, le président d'Airbus que Jacques Chirac a décidé de promouvoir à la tête de l'ensemble. Le chef de l'Etat a la manie de vouloir changer, quand bon lui semble, les patrons des grandes entreprises. Il a ses têtes. Et en l'espèce, il estime qu'il a son mot à dire : EADS vit en partie sur les commandes publiques d'armement et Forgeard fut l'un de ses proches collaborateurs. L'Elysée a ainsi déstabilisé ce fleuron de l'industrie française : dans le monde impitoyable de la défense et de l'aéronautique, tous les coups sont permis, surtout les plus tordus.

Quand les juges reçoivent la deuxième lettre anonyme, leurs derniers doutes sont levés, il s'agit bien d'une grossière manipulation. Tout le bottin des affaires, de la politique et de la presse est cité et, bien sûr, Nicolas Sarkozy, faussement dissimulé sous les pseudonymes transparents de Paul de Nagy et de Stéphane Bocsa, tirés de son patronyme complet : Nicolas, Paul, Stéphane Sarközy de Nagy- Bocsa.

Si Sarkozy avait ouvert des comptes au Luxembourg, pourquoi diable aurait-il pris des pseudonymes aussi voyants ? A l'évidence, quelque chose cloche. Villepin, pourtant, saute de joie. Bonne pioche. Il prévient tout de suite Jean-Pierre Raffarin : "Ça y est, on le tient !" Il alerte aussi la bonne presse : "Sarkozy, c'est fini. Si les journaux font leur travail, et s'ils ont des couilles, il ne survivra pas à cette affaire-là." Dans la foulée, il commande un rapport à la Direction de la surveillance du territoire (DST).

Qu'importe si tout ça sent le montage à plein nez : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. D'autant qu'un démenti équivaut souvent, dans ce genre d'affaires, à une confirmation. Las ! la machination ne prend pas. Elle a été trop bâclée. Pour un peu, elle se retournerait même contre Villepin.

Une note "Confidentiel Défense" du 23 octobre 2004, signée du grand patron de la DST, Pierre de Bousquet, et adressée au ministre, pose quelques questions troublantes, à propos du "corbeau" : "Aurait-il agi seul ou avec son entourage ? Avec le soutien technique d'une équipe à sa main ? Aurait-il pu être instrumentalisé ? Par qui ?" Dans d'autres notes "Confidentiel Défense", la DST prétend avoir identifié le "corbeau" de l'affaire : ce serait Jean-Louis Gergorin. Un des esprits les plus brillants de sa génération, ancien élève de l'ENA et grand expert en géopolitique, qui a ses entrées au Quai d'Orsay où il a longtemps travaillé. Il fut l'un des collaborateurs les plus proches de Jean-Luc Lagardère et reste un conseiller écouté de son fils Arnaud. Il a un ennemi dans la vie, Philippe Delmas. Et inversement.

C'est aussi un grand ami de Dominique de Villepin qu'il a connu quand il dirigeait le Centre d'analyse et de prévision du ministère des affaires étrangères où ils ont cohabité pendant trois ans. Depuis, ils ne se sont jamais perdus de vue. Ainsi, quand Jean-Louis Gergorin fut décoré de l'Ordre national du mérite par Alain Richard, ancien ministre de la défense, en avril, au moment où l'affaire Clearstream commençait, ce fut dans le bureau et en présence de Dominique de Villepin, place Beauvau.

Détail troublant. A condition, bien sûr, que Jean-Louis Gergorin ait été l'auteur des lettres, ce qu'il dément avec énergie. Convaincu qu'il s'agissait d'un complot ourdi contre lui, Nicolas Sarkozy se croit quand même fondé à demander des comptes à Dominique de Villepin. Le 15 octobre 2004, les deux hommes auront une explication houleuse, place Beauvau.

Depuis, l'enquête n'avance guère. La DST rase les murs, tandis que le juge chargé d'identifier le ou les corbeaux tente, seul, de dénouer cet imbroglio. N'empêche que l'affaire Clearstream n'a pas fini de faire des vagues.

C'est elle qui permet de comprendre, en partie, le retour inopiné de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, un peu plus tard, après le four du référendum sur l'Europe. N'a-t-il pas déclaré, sibyllin, qu'il avait accepté de retourner place Beauvau afin de déjouer d'" éventuels complots" ? C'est elle encore qui nourrit la haine froide ou brûlante, c'est selon, qui dresse l'un contre l'autre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Ces deux-là sont désormais condamnés à se battre jusqu'au dernier sang. Ils ne se rateront pas. Les sourires de façade n'y changeront rien.

Une fois, pendant l'été 2005, Jacques Chirac dira à Nicolas Sarkozy : "Allez, arrête de me parler de cette affaire Clearstream. Il faut penser à l'intérêt général.

- Quel intérêt général ?

- C'est une histoire sans importance. Tu perds ton temps."

Alors, Sarkozy : "Ne me parlez pas comme ça. Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de boucher."


LA FORMATION DU GOUVERNEMENT VILLEPIN (MAI 2005)

C'est le 29 mai 2005 que Chirac est mort politiquement, et pour de bon, cette fois, sans espoir de résurrection. Après l'échec de son référendum, il a encore deux ans à tirer. Ils seront sa croix. (...)

Le 29 mai au soir, après qu'ils ont commenté l'ampleur du désastre, Chirac annonce à Raffarin qu'il devra démissionner le lendemain. Le président garde le plan qu'il a eu tout le temps de mûrir, ces derniers jours : c'est Michèle Alliot-Marie qui ira à Matignon.

Un bourreau de travail. Avec ça, l'art et la manière. Elle est prête. C'est une femme qui a réussi partout où elle est passée. Localement, dans le parti et, enfin, au ministère de la Défense où, selon Chirac, elle fait des étincelles. Un détail qui ne trompe pas : sa notice est l'une des plus longues du Who's who (72 lignes).

Alors, va pour Michèle Alliot-Marie.

Avant que Raffarin ne prenne congé, Chirac laisse toutefois tomber : "J'hésite quand même encore un peu avec Villepin".

Raffarin confirme qu'à ses yeux Alliot-Marie est un meilleur choix. C'est une "professionnelle". Avec elle, le président ne prendra aucun risque. Mais la nuit sera longue. Villepin fera le siège du président comme il le fait déjà depuis plusieurs jours. Il a entre les mains des rapports soi-disant alarmants des Renseignements généraux. Le mécontentement populaire est à son paroxysme. Il risque d'exploser après la déroute du référendum. Il faut donc un homme à poigne pour Matignon.

Chirac a envoyé le ministre de l'Intérieur, en fin de semaine, pour une sorte d'examen de passage devant Juppé. Officiellement, Villepin a été reçu. Avec mention. Mais Juppé doute néanmoins que son ancien directeur de cabinet soit en mesure de changer la donne, pour le président. Il a, ce soir-là, une illumination.

Le lundi matin, au lendemain du fiasco référendaire, Alain Juppé appelle Jacques Chirac. Il est 8 h 30. Ils ont tous deux la "gueule de bois", après cette soirée de cauchemar où le chiraquisme semble s'être délité d'un coup.

"Au point où on en est, dit Juppé au président, je crois que vous devriez appeler Sarko à Matignon. Il a le parti et un soutien parlementaire fort. Est-ce qu'il ne faut pas tenter le coup en lui demandant de s'engager à ne pas vous humilier ?"

"Vous savez comment il est. Il ne tiendra cet engagement que dix jours, et encore."

À croire qu'il y a du complot dans l'air. Jérôme Monod, l'alter ego, est aussi sur la même ligne. Convaincu qu'il n'y a que Nicolas Sarkozy qui pourra sauver les meubles, il a déjà dit au chef de l'Etat :

"La meilleure solution, c'est Sarkozy. Il faut passer un pacte avec lui. Il doit mettre les formes avec toi et, en échange, tu lui promets de ne pas te représenter et de te prononcer pour lui, le moment venu."

Chirac : "Je n'ai pas confiance. Il est fou."

Monod : "Non, il n'est pas fou. Juste maniaco-dépressif."

Que les deux hommes dont il est sûr de la fidélité disent la même chose au même moment, c'est troublant. Le chef de l'Etat est ébranlé. Il commence à envisager de nommer Sarkozy à Matignon. Enfin, il essaie. En le mettant en avant, ne risquerait-il pas de s'enterrer vivant ?

Sitôt qu'il a terminé sa conversation avec le chef de l'Etat, Juppé appelle Sarkozy et lui dit : "Si tu veux jouer ta carte, c'est le moment. Mais il faut que tu rassures Chirac. Tu ne peux pas vouloir t'installer à Matignon et, en même temps, créer un climat de défiance en expliquant à la terre entière que le président est un vieux con carbonisé."

Message reçu. Sarkozy, qui doit bientôt voir Chirac, affichera, pour la circonstance, son sourire des grands jours. Tandis que Sarkozy médite, Villepin poursuit sa campagne sur le thème : "L'heure est grave, je suis le seul qui, le seul que, etc." Il pose même ses conditions. Il veut tout. Autrement dit, pas question de cohabiter avec Sarkozy. A Juppé, qui lui dit son souhait de remettre le président de l'UMP dans le jeu, à Matignon ou dans un grand ministère, il répond, tranchant : "Si je suis premier ministre, Sarkozy ne peut accepter que l'Intérieur et, pour moi, c'est inenvisageable". (...)

Quand Chirac reçoit Sarkozy, le lundi matin, pour un entretien qui durera une heure et demie, il lui jette tout à trac : "Tu es la meilleure solution pour Matignon, tout à fait le Premier ministre qu'il me faut. Mais voilà, je n'ai pas le droit de te nommer. Tu es le seul d'entre nous qui peut gagner la prochaine élection présidentielle et, en t'exposant ainsi, je te mettrais en danger."



Du Chirac tout cru. On ne sait jamais, dans ce genre de cas, s'il tient son discours pour embobiner ou pour humilier. Les deux, peut-être.

"Le plus vraisemblable, dit le président, c'est que je ne serai pas candidat. Dans cette hypothèse, tu auras besoin de moi.

- Pas sûr, objecte Sarkozy.

- Pourquoi ?

- La France a guillotiné un roi et une reine alors que rien ne l'y obligeait. Elle n'aime pas les héritiers. Si vous vous prononciez pour moi, je ne suis pas sûr que ça serait mis à mon crédit. Je ne dis pas ça pour être insolent mais parce que je crois que notre pays a toujours voté pour le changement, même s'il pouvait s'agir, dans certains cas, de changement dans la continuité.

- N'importe comment, insiste Chirac, si tu es le meilleur, je t'aiderai.

- Mais si je suis le meilleur, pourquoi ne pas me nommer à Matignon ?"

La réponse est évidente : parce que le chef de l'Etat entend encore avoir son mot à dire. Les deux hommes ont en effet des différends importants. Sur le modèle social français que Sarkozy entend remettre en ordre de marche. Ou encore sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, que le chef de l'Etat a plus ou moins patronnée.

Conscient de tout cela, Sarkozy concède qu'il serait prêt à revenir au ministère de l'intérieur où il a été " heureux". Le chef de l'Etat semble soulagé, tout d'un coup :

"Il faut que tu voies Dominique.

- Je ne le verrai qu'après vous avoir entendu dire à la télévision : "J'ai demandé à Nicolas Sarkozy d'être ministre d'État et il a accepté"."

Façon de dire qu'il veut être nommé par Chirac et non par Villepin. C'est du président qu'il entend tirer sa légitimité, pas de l'homme qui a pour mission, entre autres, de le détruire.

Reste l'épineuse question de la présidence de l'UMP que Chirac jugeait incompatible, il n'y a pas si longtemps, avec un poste ministériel.

"Qu'est-ce qu'on fait ?, demande le président.

- Je garde la présidence, répond Sarkozy.

- Pourquoi ?

- Parce que j'ai pris la présidence de l'UMP contre vous. Si vous me l'aviez donnée, j'aurais accepté de vous la rendre. Mais là, après tout ce qui s'est passé, vous comprendrez que je ne puisse la mutualiser dans votre discussion.

- Tu vas m'humilier.

- On verra."

C'est ainsi que Sarkozy s'est retrouvé numéro deux du gouvernement Villepin. (...) Chirac a-t-il donné à Villepin la mission d'en finir avec Sarkozy ? C'est en tout cas celle que le nouveau premier ministre s'est fixée. Il a une ambition et une stratégie dont il n'a jamais fait mystère : "La France a envie qu'on la prenne. Ça la démange dans le bassin. Celui qui l'emportera à la prochaine élection, ce ne sera pas un permanent de la politique, mais un saisonnier, un chenapan, un maraudeur." Il s'y voit déjà...

Il ne supporte pas que Sarkozy ait revêtu les habits du favori pour la prochaine élection présidentielle. Il pronostique, depuis plusieurs mois, la chute incessamment sous peu de celui qu'il appelle, selon les jours, le " nain" ou le " nabot". Parfois, il propose aux démocrates de rallier son drapeau contre le danger que fait courir à la France le président de l'UMP : "C'est un fasciste, un fasciste à la française, prêt à tout pour arriver à ses fins." Parfois, mais seulement dans les bons jours, il compare Sarkozy au général Boulanger : "Un allumeur, un baratineur de soirée dansante, mais il serait bien incapable de faire un enfant à la France. Il n'a rien dans le pantalon."

Rarement on aura vu, dans la politique française, un tel flot, pardon, un tel déluge de haine et de violence. A côté, l'aversion qui dresse l'un contre l'autre Chirac et Sarkozy relève de la querelle enfantine. Aux journées parlementaires de l'UMP à Evian, Sarkozy fait un tabac auprès des élus. Villepin, qui a été mollement applaudi, se sent humilié et le dit plus tard dans la soirée au ministre de l'intérieur : "Plus jamais ça." Alors, Sarkozy : "Ça fait trente ans que je me bats. Pour me déloger, il faudra y aller à l'arme blanche."

1 commentaire:

Madjid Ben Chikh a dit…

La France n'a absoluement pas envie qu'on la prenne et chacun s'accorde à dire, sur la terre entière qu'elle serait même plutôt frigide, en ce moment... Alors que Villepin veuille se vider, ça le regarde mais c'est bon, ça fait dix ans qu'on donne...
La France a juste besoin qu'on l'aime...
Ségolène !