jeudi, mai 25, 2006

Ping-pong

C'est toujours intéressant de garder des vieux articles & de les relire après coup.




Extrait :

Ils sont jeunes, athlétiques, souriants, assez loin de l'image désuète du vieux curé en chandail au milieu de ses paroissiens. Ici, on construit l'Eglise de demain, intercontinentale, plus colorée que blanche, soumise au pape, dévouée à la Vierge Marie, attelée à la défense de la "vérité catholique" et à la "nouvelle évangélisation" du monde.

Le séminaire de la Légion du Christ à Rome respire l'espace, la lumière, la propreté, l'équilibre, la sérénité. Le luxe aussi, mais ce mot fait tiquer. Les couloirs de marbre clair, les salons de réception, les coussins colorés et les canapés moelleux font office de ce qu'on appelait autrefois dans les maisons religieuses "parloirs" - avec table et chaises de bois branlantes. Ici, le mobilier est du meilleur goût et l'orfèvrerie étincelle. Les invités sont reçus avec égards. Des dessertes, nappées de broderies blanches, regorgent de pâtisseries, de fruits, de bouteilles de vins, de liqueurs, d'apéritifs. A table, les plats sont raffinés, servis par de jeunes légionnaires en soutane qu'on dirait sortis des meilleures écoles hôtelières.

Une naissance qui plonge dans l'un des épisodes les plus sanglants de l'histoire du Mexique, la "guerre des Cristeros", ces populations qui, aux cris de "Vive le Christ Roi !", se sont révoltées, à la fin des années 1920, contre l'anticléricalisme militant des dirigeants révolutionnaires et libéraux. Les insurgés ont été lâchés par les Etats-Unis, qui ont soutenu le gouvernement fédéral mexicain, et par le Vatican qui les a pressés de rendre leurs armes. Ce conflit, qui a fait 90 000 morts, a traumatisé le jeune Marcial Maciel. Plusieurs de ses oncles ont participé à l'insurrection, comme le célèbre général en chef Jesus Degollado. Et Marcial Maciel a souvent raconté comment il avait assisté, à l'âge de 8 ans, à l'exécution en martyre de José Sanchez del Rio, béatifié depuis par l'Eglise.

Reconnue de droit pontifical en 1965, cette nouvelle congrégation religieuse est devenue la prunelle des yeux de Jean Paul II, séduit par son efficacité dès son tout premier voyage, au Mexique, en janvier 1979. Le Père Maciel a vite compris l'intérêt de l'élection de Karol Wojtyla, en 1978, et convaincu ses troupes que ce pape venu de Pologne, avec son esprit missionnaire et ses idées carrées, était "leur" pape. La Légion veut rompre avec "l'Eglise de l'enfouissement" des années 1960 et 1970 et prône un christianisme qui ose s'affirmer.

La Légion compte déjà 500 prêtres, 2 500 novices et séminaristes, 60 000 laïcs, regroupés dans une sorte de "tiers ordre" appelé Regnum Christi (le Règne du Christ). Elle dispose d'une quantité de petits séminaires qui recrutent dès l'âge de 12-13 ans, de noviciats à Monterrey (Mexique), Cheshire (Connecticut), en Italie, au Brésil, en Colombie, et de "centres d'humanité" et grands séminaires près de New York, à Salamanque (Espagne), à Rome. Quatorze ans de formation sont requis du légionnaire, membre d'une élite cléricale recrutée jeune, formée à la théologie la plus traditionnelle et à la discipline : lever à cinq heures ; heure de méditation dans la cellule ou la chapelle ; messe et, après seulement, petit déjeuner ; nettoyage des chambres ; études et cours ; premier examen de conscience. Angelus à midi, méditation solitaire, études, prière devant l'eucharistie... Et ainsi de suite jusqu'à extinction des feux.

Dette discipline militaire a répandu, derrière la Légion, des odeurs de secte. "Faux, répond Gonzalo Miranda. La phrase que j'ai le plus entendue dans mon noviciat, c'est : "La porte est ouverte." "

Un ancien professeur est plus sceptique : "Je retrouve à la Légion le climat des séminaires à la dure d'autrefois", dit-il. Il admet que "les garçons sont ouverts et sincères", mais un sévère esprit de contrôle règne : "Quand les légionnaires venaient me chercher, jamais ils ne se déplaçaient seuls, toujours à deux ou trois." Le service de l'Eglise, du pape et du Christ exige des athlètes complets de la foi. Les légionnaires font cinq voeux avant de s'engager : chasteté, obéissance, pauvreté, charité, humilité. "Nous sommes les missionnaires de la vraie foi et de la morale catholique, dit Rafael Laroca, légionnaire argentin, contre les sectes évangéliques, contre la logique ultralibérale, contre le New Age, les mormons ou les Témoins de Jehovah."

On ne prête qu'aux riches. Les légionnaires sont accusés de mégalomanie et de lobbying. Ils sont de tous les voyages pontificaux, de toutes les cérémonies à Rome, aux petits soins avec les cardinaux de la Curie et la "famille" du pape : hier Stanislaw Dziwisz, secrétaire privé de Jean Paul II , aujourd'hui Georg Gaenswein, le plus proche de Benoît XVI. Le cardinal Sodano est leur hôte et, contre tout usage, les cite dans ses interventions. La Légion se défend pourtant de toute volonté de puissance, mais elle marche sur les mêmes brisées que ses "frères" de l'Opus Dei et de la Compagnie de Jésus.

Obéissant au pape au doigt et à l'oeil, exigeant de ses membres la formation la plus pointue, faisant de l'encadrement des élites leur cible favorite, les légionnaires sont en fait les jésuites du XXIe siècle. Jusque dans les campagnes de dénigrement. Car le vent tourne pour eux. Des procès ont été ouverts il y a dix ans contre le fondateur, Marcial Maciel, à la suite de plaintes pour abus sexuels déposées contre lui par d'anciens membres de sa congrégation. Un dossier explosif aurait été déposé à la Congrégation de la foi au Vatican, mais maintenu sous le coude. "Impossible, s'écrie le Père Rafael, notre fondateur est un homme de Dieu, un saint dont le regard, plein d'enthousiasme et de bonté, rayonne."

Absurde, renchérissent à Rome Pedro Barrajon et Thomas Williams : "Dès les années 1950, dix-huit chefs d'accusation, y compris la consommation de drogue, avaient déjà été portés contre lui, mais aucun ne concernait des abus sexuels. Et on découvrirait cela aujourd'hui ?" Quatre "visiteurs" du Vatican avaient alors fait des enquêtes et blanchi le fondateur. Devant la reprise des attaques, la Légion ne bronche pas. "On ne répond pas. On prie pour ceux qui les lancent", répète le fondateur, qui a laissé sa place de supérieur général à un autre Mexicain, Alvaro Corcuera, 48 ans.

Les sources d'enrichissement de la Légion sont aussi sujettes à caution. Des "donateurs", répondent les responsables à Rome. De grandes fortunes mexicaines et américaines cotisent à la Légion. Mais "pour 1 euro reçu, on en investit 2", insiste Pedro Barrajon. Tout collège construit dans un quartier huppé du Mexique, du Chili ou d'Irlande fait l'objet d'un investissement identique dans des quartiers plus pauvres et populaires. C'est le sens des programmes de bourses et de parrainages, appelés Mano Amiga (la Main amie). Au Mexique, 200 000 enfants de bidonvilles sont pris en charge par le réseau des écoles de légionnaires et bénéficient des mêmes programmes que les enfants de riches. Il faudra plus que ces campagnes de discrédit pour miner l'enthousiasme des légionnaires. Pieusement, ceux-ci font chaque jour mémoire des grands fondateurs d'ordres - François d'Assise, Ignace de Loyola, Padre Pio, Don Bosco - qui en avaient été également victimes en leur temps. Et qui sont, pourtant, devenus de grands saints.





Extrait :
Vastes terrains de sport, jets d'eau et panneaux d'énergie solaire, l'université Anahuac Norte, fondée en 1964, est le navire-amiral de toute une armada éducative. Comme sa rivale jésuite, la Iberoamericana, elle passe pour l'une des meilleures institutions privées du Mexique et a été construite sur les hauteurs de la capitale, à proximité des résidences de luxe et des temples du shopping chers à la jeunesse dorée.

Un semestre ici coûte l'équivalent de 5 000 dollars. Les légionnaires du Christ ne renient pas leur vocation : "Notre principal travail, c'est de former" - en priorité les élites, assure Roberto Sanchez-Mejorada, chargé de la communication. Sur le campus, on exalte les "leaders d'action positive". Des neuf universités que compte la Légion au Mexique, Anahuac Norte est la plus complète : elle offre à ses 6 000 étudiants 25 programmes de licence et plusieurs 3es cycles. Près d'un étudiant sur cinq bénéficie d'une aide financière. Car un boursier d'aujourd'hui peut devenir "un dirigeant syndical de demain".

La loi mexicaine a beau interdire aux mouvements religieux de posséder des médias, la Légion a su tisser des liens de confiance avec des figures-clés du "quatrième pouvoir", notamment Emilio Azcarraga, propriétaire de Televisa (le plus gros fournisseur de programmes du monde hispanique), un diplômé d'Anahuac qui patronne les émissions de bienfaisance du Teleton - une initiative de la Légion. Anahuac prône l'engagement personnel dans les oeuvres caritatives - la "charité qui transforme" - grâce à la fondation Althius, l'un des piliers de la Légion. Ainsi, le service de télé-médecine envoie dans des zones rurales défavorisées des infirmiers et des médecins. Des véhicules équipés d'antennes satellites leur permettent d'atteindre des communautés indiennes marginalisées et de réaliser, entre autres examens, des échographies de contrôle sur les femmes enceintes. Grâce à un système de téléconférences, les soignants en tournée peuvent consulter les experts d'Anahuac.

Ce jour-là, depuis la côte Pacifique, une jeune femme expose le cas d'une patiente de 42 ans qui en est à sa douzième grossesse. La région affiche le taux de mortalité maternelle le plus élevé, mais il serait malséant d'encourager la contraception : la méthode Billings (abstinence pendant les jours "fertiles") est "la plus efficace pour ces femmes souvent analphabètes, et la seule compatible avec leur foi", assure le docteur Pilar Calva, généticienne formée à l'hôpital Necker de Paris dans le service du professeur Lejeune. Elle est une adversaire inflexible de l'avortement, encore passible de prison, au moins pour les médecins qui le pratiquent, dans nombre d'Etats au Mexique.

On est loin pourtant de la "période quasi hitlérienne où les novices légionnaires criaient "Heil Christus !" en levant la main droite", se souvient José Barba, professeur à l'Institut technologique de Mexico. Entré adolescent dans la Légion il l'a quittée en 1962, et, depuis 1997, est devenu l'un des principaux accusateurs du Père Marcial Maciel. En dépit de ses positions ultra-conservatrices, la Légion s'est démarquée dès l'origine, par sa fidélité au pape, de la frange la plus radicale de l'extrême droite catholique mexicaine.

"Les légionnaires sont très pragmatiques, ils ne remettent pas en cause l'exploitation du travail, analyse Bernardo Barranco, chroniqueur de Radio Red et du quotidien de gauche La Jornada. Au Mexique, sur la question sociale, ils se situent à droite de l'Opus Dei, mais dans le domaine moral ils sont plutôt tolérants envers les frasques des élites." Pour lui, ce mouvement novateur a su "adapter au catholicisme la théologie de la prospérité" inventée par certains courants évangéliques, en organisant une assistance aux pauvres tout en confortant la foi des riches dans la légitimité de leurs privilèges.






Le Vatican a demandé, vendredi 19 mai, au père mexicain Marcial Maciel, 85 ans, accusé de pédophilie, d'abandonner toutes ses responsabilités au sein des Légionnaires du Christ, la congrégation ultra-conservatrice et proche du Vatican qu'il avait fondée.

"La Congrégation pour la doctrine de la foi (...) a décidé, tenant compte de l'âge avancé de père Maciel et de sa santé fragile, de renoncer à tout procès canonique et d'inviter le père à une vie discrète de prière et de pénitence, renonçant à tout ministère public", indique un communiqué du Vatican. Père Maciel avait cédé la tête de l'organisation au père mexicain Alvaro Corcuera en décembre 2004.

La Congrégation pour la doctrine de la foi a reçu dès 1998 des accusations de pédophilie contre père Maciel. Elle était alors dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger, qui allait être élu pape en 2005. Le communiqué du Vatican précise que la décision du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal William Levada, a été "approuvée" par le pape Benoît XVI. "Indépendamment de la personnalité du fondateur", le Vatican "reconnaît avec gratitude l'apostolat des Légionnaires du Christ", assure cependant ce texte.

"LA PATERNELLE AFFECTION"

D'anciens membres ont dénoncé, à partir de 1997, des abus du père Maciel dans les années 1950, quand ils étaient entrés, enfants, dans la congrégation. Il ont expliqué leurs accusations tardives par la difficulté de rompre le silence, règle d'or des légionnaires. Marcial Maciel a toujours démenti.

Jean Paul II gardait une grande estime pour cette organisation. En janvier 2005, quelques mois avant de mourir, le pape avait, dans un message au successeur du père Maciel, rendu hommage à celui-ci : "Vous avez eu la chance de vivre 64 ans sous la conduite de votre fondateur. Ainsi vous avez grandi et vous vous êtes développés. Maintenant vous allez poursuivre votre chemin guidés par votre nouveau directeur général, mais vous allez encore bénéficier de la paternelle affection et de l'expérience du père Maciel."







C'est l'épilogue d'un scandale qui aura duré près de dix ans et entaché la réputation d'un ordre - la Légion du Christ - qui fut cher au pape Jean Paul II et reste très introduit au Vatican. Avec l'"approbation" de Benoît XVI, la congrégation pour la doctrine de la foi a relevé de tout "ministère public", vendredi 19 mai, le prêtre mexicain Marcial Maciel, 85 ans, fondateur, en 1941, des Légionnaires du Christ. Il est accusé d'abus sexuels commis, dans les années 1940 à 1960, sur de jeunes séminaristes. Il a été invité à "se retirer et mener une vie discrète de prière et de pénitence".

C'est le symbole d'un catholicisme puissant et conquérant, en Espagne et sur le continent américain (Nord et Sud), qui est ainsi frappé. Marcial Maciel avait réussi à faire d'un petit groupe de catholiques mexicains, élevés au souvenir de la "guerre des cristeros" (chrétiens) contre les révolutionnaires au pouvoir, une congrégation reconnue par le Vatican dès 1965, riche aujourd'hui de 500 prêtres, 2 500 séminaristes, 45 000 laïcs (Regnum Christi, bras séculier de la Légion), de nombreux établissements scolaires et une quinzaine d'universités (deux à Rome, trois au Mexique).

Venues d'adeptes en rupture avec la Légion, les premières plaintes contre le Père Maciel remontaient aux années 1950, mais n'avaient alors rien à voir avec la pédophilie. Un "procès canonique", mené par le Vatican, l'avait innocenté. En 1997, les accusateurs sont revenus à la charge, cette fois au motif d'abus sexuels. Le Vatican a refusé tout nouveau procès, mais autorisé, en 2001, une "investigation des accusations", pour reprendre les termes de l'historique de l'affaire publiée vendredi. C'est ce dossier de la Congrégation de la doctrine de la foi, alors dirigée par le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, qui vient d'aboutir à une sanction aussi grave.

SOUTENU PAR JEAN PAUL II

Vénéré par les Légionnaires comme un saint vivant, le Père Maciel n'a jamais cessé de proclamer son innocence. "Devant Dieu, affirmait-il en avril 2002, je déclare catégoriquement que ces accusations sont fausses. Je n'ai jamais eu le genre de comportement abominable dont on m'accuse." En janvier 2005, il avait toutefois renoncé à la direction de l'ordre au profit d'Alvaro Corcuera, un autre prêtre mexicain.

Ce soupçon de pédophilie avait reçu d'autant plus d'écho que les Légionnaires sont souvent mis en cause pour leur volonté d'endoctrinement des jeunes garçons et la sévérité quasi militaire de leur discipline. Mais Jean Paul II, qui appréciait leur efficacité dans son programme de "nouvelle évangélisation" du monde, n'avait jamais ménagé son soutien à la Légion et à son fondateur, louant encore peu de temps avant sa mort, "la paternelle affection et l'expérience" du Père Maciel.

Dans un tel contexte, le choix de la clarté qui vient d'être fait par Benoît XVI n'en est que plus significatif.

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