mardi, mai 16, 2006

Enron China




Extrait :

Dans un mea culpa humiliant et sans précédent, le cabinet comptable américain Ernst & Young a retiré, lundi 15 mai, un rapport sur les créances douteuses du système bancaire chinois qui avait fortement déplu à Pékin.

Ernst & Young explique dans un communiqué que son étude était "factuellement erronée". Ce document annuel sur les créances douteuses dans le monde, rendu public le 3 mai, évaluait le total des mauvaises dettes des banques chinoises à 911 milliards de dollars (712 milliards d'euros), bien plus que le chiffre officiel (Le Monde du 5 mai). Il a suscité une réaction immédiate et brutale de la Banque populaire de Chine. Le soir même de sa publication, la Banque centrale l'avait qualifié de "déformé, ridicule et incompréhensible" et faisait remarquer qu'il "contredisait" les audits réalisés par Ernst & Young des établissements chinois.
De nombreux analystes et organismes économiques internationaux suspectent depuis longtemps que le niveau réel des mauvaises créances en Chine est nettement supérieur aux chiffres officiels.

Parmi les quatre grandes banques chinoises, la China Construction Bank a déjà été introduite avec succès à la Bourse de Hongkong à la fin de l'année dernière. La Bank of China et la Industrial & Commercial Bank of China devraient suivre dans les prochains mois. Le rapport d'Ernst & Young ne pouvait tomber à un plus mauvais moment pour le gouvernement chinois, qui essaye de convaincre les investisseurs étrangers de placer des milliards de dollars dans ses établissements de crédit.
Reste que le doute sur l'ampleur des mauvaises dettes des banques chinoises est bien réel. Même si leurs chiffres sont différents et inférieurs à ceux d'Ernst & Young, le cabinet PricewaterhouseCoopers et le spécialiste du conseil McKinsey ont récemment rendu public des rapports qui en soulignent l'augmentation rapide dans le système bancaire chinois.

En cédant, Ernst & Young n'améliore pas son image d'indépendance. Mais ce n'est pas la première entreprise occidentale céder devant les exigences de Pékin. Le régime chinois n'a pas hésité au cours des derniers mois à utiliser sa nouvelle puissance économique et financière pour faire pression sur des sociétés et des gouvernements occidentaux.

Il a contraint les moteurs de recherche sur Internet Google, Yahoo et MSN à pratiquer la censure. En fin de semaine dernière, à la grande colère de nombre de parlementaires, le rapport semestriel du Trésor américain sur les marchés de change a clairement ménagé Pékin. L'administration s'est bien gardée d'accuser le gouvernement chinois d'affaiblir sciemment et artificiellement sa devise face au dollar. Ce qu'il fait pourtant depuis des années.




Entretien avec Françoise Lemoine, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) :

Vous êtes économiste, spécialiste de la Chine, au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Quel bilan de santé du système bancaire chinois faites-vous ?


Les informations contenues dans le rapport effectué par le cabinet d'audit Ernst & Young sur les créances douteuses en Chine incluaient les prêts non performants qui avaient été retirés des banques chinoises et mis dans des structures de défaisance.

Quels que soient les chiffres, l'opacité reste très grande dans les banques chinoises. Certes, les prêts non performants ont été évacués pour une grande partie, et les taux de prêts non performants sont retombés à des niveaux très bas. Mais, actuellement, on ne sait pas pour autant si le comportement des banques ou leur capacité à gérer les risques a véritablement changé. L'augmentation des prêts bancaires au premier trimestre se situe entre 50 % et 60 %.

Les banques se retrouvent avec des liquidités importantes dont une grande partie est liée aux capitaux étrangers ou à l'afflux de spéculations sur une éventuelle appréciation du yuan, et, par conséquent, elles continuent de prêter. Or rien ne prouve que ces fonds soient orientés vers des projets très rentables.

Dans quelques années, nous verrons si les crédits qui ont été récemment accordés se révèlent remboursables. Les chiffres officiels ont montré que là où le gouvernement avait mis beaucoup d'argent pour assainir le système bancaire, les banques étaient en meilleure santé. Selon les chiffres officiels du gouvernement, les trois principales banques (Bank of China, China Construction Bank et l'Industrial & Commercial Bank of China) détenaient l'an dernier moins de 10 % de créances douteuses dans leur bilan. Mais une fois réglé le problème de stock, il faut surveiller le flux de ces mauvaises dettes. Dans ce domaine, le problème n'est pas réglé, c'est certain.

Propos recueillis par Cécile Prudhomme

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