vendredi, juin 09, 2006
L'endurance coréenne
Extrait :
De l'usine au laboratoire, de la dictature à l'une des démocraties les plus dynamiques de la région, la Corée du Sud est en train de battre le Japon en rapidité de développement et peut-être aussi de rayonnement : alors que l'Archipel a mis un siècle et demi à devenir la deuxième économie du monde et un pôle de culture populaire, la Corée du Sud est en passe de lui tailler des croupières.
Non contente d'avoir des entreprises "ruban bleu" dans le secteur des hautes technologies, la Corée du Sud devient un foyer d'innovation et d'exportation de culture de masse chez ses voisins dont - gage de succès - le Japon, premier marché jeune de la planète, où ses séries télévisées, ses talents et jeux vidéo font fureur. La déferlante de la pop coréenne, dénommée "hallyu" ("la vague coréenne"), s'étend du cinéma à la cuisine en passant par les cosmétiques. Elle est révélatrice de la nouvelle place d'un pays qui apparaît comme symbole d'une modernité enracinée dans une identité asiatique.
La Corée ne se contente pas d'inventer. Elle applique ses innovations à la société : c'est le pays le plus "branché" de la planète (les trois quarts des foyers disposent d'une connexion Internet), et elle a fait de certains portails des relais de la démocratie. Ce n'est plus en lisant les journaux mais en consultant les portails Internet des "news guérillas" que l'on sent le pouls de la société. Le succès le plus étonnant est le rayonnement culturel de ce petit pays de 48 millions d'habitants pris en étau entre ses géants voisins chinois et nippon : de la Malaisie au Japon en passant par la Chine et le Vietnam, des millions d'Asiatiques jouent à des jeux vidéo ou regardent chaque soir des séries télévisées produits en Corée.
Au Japon, où la minorité coréenne a longtemps été victime de discriminations, des "Korea towns" telles que le quartier d'Okubo, à Tokyo, sont devenues des pôles d'attraction pour les jeunes Nippons. Un boom porté par la vogue du film Sonate d'hiver (2004), dont l'acteur principal, Bae Yong-joon, est la coqueluche des Japonaises. A quoi tient cet engouement ? La forte identité coréenne, cimentée dans l'adversité, séduit dans une région désormais rétive à ce qu'elle perçoit comme une "américanisation". La Corée apporte un "plus" : une touche asiatique appuyée. Sa culture de masse est perçue comme n'étant ni américaine ni japonaise dans des pays émergents où la culture locale n'a pas les moyens de satisfaire quantitativement de nouvelles demandes. C'est une "culture-fusion" : expression culte dans la région, qui renvoie à une modernité à la fois cosmopolite et "asiatisée". Une culture de masse dont la Chine ne peut pas (encore) être la matrice en raison des vestiges du socialisme. Le Japon en reste le grand foyer, mais son image est desservie par son association avec l'Amérique dont il apparaît comme l'émule.
Elle met aussi en scène une valeur cardinale en Asie : l'endurance. Muée parfois en obstination dans le cas des Coréens, elle a pris la dimension de trait majeur du tempérament national. Le "han", mot sino-coréen, désigne ce sentiment amer dans lequel se mêlent peine et amertume provoquées par les efforts non récompensés et les attentes déçues. Le han, qui "prend aux tripes" et dont les Coréens (du Sud comme du Nord) ont tendance à penser qu'il est unique à leur peuple, nourrit une dramatisation très "latine" des émotions que véhiculent inlassablement chansons populaires, romans et cinéma.
Passée en quelques décennies de l'ordre confucéen au consumérisme, la société contemporaine est animée de deux mouvements divergents : l'un tend à esquiver les contraintes, l'autre adhère, non sans frustration, au formalisme traditionnel, synonyme de statut social. L'esquive se manifeste par exemple dans l'effondrement de la natalité : les Coréennes, émancipées, se dérobent aux contraintes de l'ordre patriarcal. Leur "pas de côté" consiste à retarder la naissance du premier enfant (le taux de fécondité est tombé à 1,2 enfant en dix ans) et à divorcer : 46 % des couples se séparent au cours des trois premières années de mariage.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire