vendredi, mai 12, 2006

La crise sociale française : 6eme episode



Extrait :
Il s'agit bien aujourd'hui de jeunes diplômés de l'université issus des catégories intermédiaires qui voient se dérober sous leurs pas les dernières marches à l'entrée dans les classes moyennes. Ils vivent ce retournement comme un risque de déchéance dans une classe d'incertitude sans avenir ni retour, et leurs parents assistent avec eux à l'extinction d'un projet social hier triomphant.

Ainsi, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Suède et d'autres encore ont fait face à un renforcement indéniable de leurs inégalités économiques, qui s'accompagne d'un phénomène de rétrécissement de leur classe moyenne (shrinking middle class). Bien au contraire, en France, globalement, rien ne bougerait.

Sous cette surface lisse et plane, il en est pourtant des inégalités comme de la pauvreté : si, en vingt ans, les pauvres sont restés aussi nombreux, ce ne sont plus les mêmes. Naguère, il s'agissait de vieux qui devaient bientôt disparaître. Aujourd'hui, les pauvres sont avant tout des jeunes, pleins d'avenir dans la pauvreté.

La dynamique des inégalités en France est assez semblable : si les générations nées avant 1920, trop tôt pour bénéficier vraiment de l'Etat-providence et d'une société plus égalitaire, ont été polarisées à l'extrême entre un prolétariat exploité et une bourgeoisie d'héritiers, celles qui sont nées entre 1925 et 1950 ont connu l'expansion massive du salariat intermédiaire, des perspectives de mobilité ascendante historiquement exceptionnelles, tant du point de vue social qu'économique, les échelons les plus modestes ayant bénéficié des augmentations salariales les plus substantielles, comme l'a montré Thomas Piketty (Les Hauts Revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions, 1901-1998, Grasset, 2001).

En revanche, les générations nées ultérieurement sont confrontées à un retournement historique. Elles ne se contentent pas de faire face à des salaires qui ont cessé de progresser depuis maintenant une génération entière (alors que leurs aînées continuaient de progresser) : elles connaissent en outre un degré d'inégalité supérieur à celui de leurs aînés au même âge. Ainsi, la partie inférieure des nouvelles générations décroche et la partie supérieure tend à stabiliser sa situation, mais la tranche intermédiaire est écartelée entre ces deux pôles.

Sans nier l'importance des difficultés des classes populaires et de ceux qui font face à la marginalisation sociale, c'est au tour des catégories centrales de la société d'expérimenter une forme de précarité civilisationnelle. Les "nouvelles classes moyennes salariées" vieillissantes ont le sentiment de laisser la proie pour l'ombre.

Ce phénomène est une des explications des soubresauts politiques depuis près de cinq ans : les comportements politiques d'une classe moyenne sans perspectives sont par nature instables, comme l'avait montré Theodor Geiger en 1932 dans le cas de l'Allemagne. Si le référendum européen du 29 mai 2005 a mis en évidence cette nouvelle angoisse des classes intermédiaires, et plus particulièrement celles du secteur public, qui ont maintenant rejoint dans le non les classes populaires, l'épisode du CPE a fait entendre l'appel au secours de la nouvelle génération. Mais rien ne dit qu'elles seront vraiment écoutées.


P.S. : Une revue de presse intéressante : Chronique Education

Aucun commentaire: