lundi, juin 05, 2006

Third culture




Extrait :
Selon Mme Houdebine, l'exilé construit sa personnalité dans une sorte "d'entre langues". Cette complexité est souvent ressentie par les enfants d'immigrés dont les parents parlent entre eux la langue du pays d'origine, qui devient alors "la langue des adultes, une langue d'écoute et non de parole". Cette situation étrange a des aspects positifs dans la mesure où les parents apparaissent comme un couple uni. Mais elle a aussi des conséquences négatives : pour l'enfant, l'exclusion peut être source d'angoisse.

C'est ce qui se passe, souligne M. Hamad, lorsque les parents ont une volonté d'intégration trop exclusive qui les amène à ne rien transmettre de leur propre culture. L'enfant perçoit cette langue d'origine comme un chemin qui ne mène nulle part. Ou encore, lorsque l'exil est considéré comme provisoire, avec l'idée du retour au pays, la famille inculque les valeurs d'une société figée. Si bien que les enfants deviennent étrangers aux deux mondes et aux deux cultures. C'est souvent le cas pour les jeunes des banlieues.

Selon M. Hamad, ils deviennent "frontaliers" : "comme s'ils découvraient que la loi de l'autre est relative, ils la transgressent allègrement, et font à l'extérieur ce qu'ils ne feraient pas chez eux". Le psychanalyste voit le remède dans une politique de développement de l'arabe littéral, qui pourrait être proposé en option au collège. Une réflexion qu'il est d'autant plus opportun de mener que le Sénat s'apprête à examiner, à partir du 6 juin, le projet de loi sur l'immigration, qui subordonne l'obtention de la carte de résident à une connaissance suffisante du français.

Car, pour construire une identité "plurielle", il ne faut pas renier ses origines. Ainsi, cette jeune mère ukrainienne, mariée à un Français, se félicite d'avoir résisté aux pressions de l'enseignante de la maternelle, et continué à parler russe avec sa fille Léna. "Aujourd'hui, en fin de CP, Léna sait lire dans les deux langues et elle est première de sa classe", constate-t-elle.

Parce que la langue sert avant tout à établir des relations sociales, les enfants éduqués dans le pays d'accueil par l'école et les contacts avec les autres enfants "bricolent" une identité différente de celle de leurs parents et de celle du pays où ils vivent. "Ils sont ce que les Anglo-saxons appellent des "third culture", des enfants d'une troisième culture", indique la psychologue Barbara Abdelilah-Bauer (Le Défi des enfants bilingues, éd. La Découverte, 192 p., 15 €). Ces enfants ne se sentent pas possesseurs de deux moyens d'expression interchangeables, mais riches de plusieurs cultures. Et beaucoup d'entre eux, toute leur vie durant, ne pourront exprimer adéquatement certaines idées que dans leur langue d'origine.



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