mercredi, février 07, 2007
Alienation au travail
Le travail a-t-il toujours été considéré comme une valeur positive, propre à assurer le bonheur individuel et collectif ?
Absolument pas ! De l'Antiquité au Moyen Age, le travail est servile - il ne sert qu'à entretenir les catégories dominantes, citoyens d'Athènes et de Rome, noblesse et clergé du Moyen Age - et méprisé : travailler, ce n'est pas avoir le temps de se consacrer à la vie de la cité, à la guerre, à la religion ou aux choses de l'esprit. Les seuls discours positifs sur le travail sont, au Moyen Age, celui des ordres monastiques et celui des corporations. Les premiers s'opposent au clergé en prônant, contre les excès des richesses ecclésiastiques, les vertus de la pauvreté et du travail, alors inextricablement liés : par leur souffrance, ceux qui travaillent gagnent plus sûrement le paradis que les riches oisifs. Tout comme les indigents : la charité, les oeuvres leur assurent un revenu minimum d'existence, sans exercer pour autant une activité "socialement utile", à part apaiser le remords chrétien des philanthropes.
Les secondes, en organisant les métiers, valorisent l'intelligence du travail de la matière, et surtout offrent à leurs membres la construction collective d'un accomplissement personnel immédiat, sans référence à une vie ultérieure.
Quand naît le discours sur la récompense de l'effort au travail ?
Au moment où la bourgeoisie - commerçants et banquiers - gagne peu à peu les sphères supérieures de la société, Luther et Calvin assurent, contre le clergé catholique, qu'il est possible de participer à la gloire de Dieu non plus seulement par la prière, mais par la "vocation", c'est-à-dire l'implication dans le monde matériel. Le travail n'est pas une obligation négative, mais une utilité sociale qui permet de gravir les échelons de la société et de jouir des biens que l'on produit : la richesse est la preuve que l'on est "élu de Dieu". En abolissant les corporations, la Révolution assure la suprématie de cette vision "bourgeoise" du travail : chacun est libre d'exercer l'activité que lui permet sa compétence, sa fortune, sa chance. Le principe de la responsabilité individuelle, poussé à l'extrême par Malthus, fait que ce dernier dénie même aux indigents le droit de faire appel à la charité publique !
Mais ne voit-on pas, au même moment, éclore la vision du travail industriel, aliénant ?
Marx, Proudhon, Fourier dénoncent les conditions de travail, mais pas le travail : celui-ci reste indispensable à l'épanouissement individuel, pourvu qu'il soit choisi, diversifié. Les ouvriers, du XIXe siècle au milieu du XXe, vivent ainsi dans l'attente d'un avenir socialiste, aussi radieux que le paradis, où le travail serait mieux réparti, ses fruits mieux partagés. Avec les "trente glorieuses", cet avenir paraît à portée de main lorsque le plein-emploi assure le revenu qui permet l'accès à la consommation. Mais la crise renvoie à la face aliénante du travail, et pousse à investir d'autres sphères plus faciles à maîtriser - la famille, la vie associative.
Comment interpréter l'actuelle volonté de redonner une "valeur positive" au travail ?
Comme une tentative maladroite de rétablir une promesse que le recul des religions et des partis a laissée en friche. Il faudrait pour cela des propositions plus concrètes. Il existe des modalités d'organisation du travail - coopératives, mutuelles, associatives - qui portent véritablement une autre "valeur travail". Mais cela ne semble pas intéresser les politiques.
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