Quand Chavez fait la promo de Chomsky
Le Monde - Dimanche 1er - Lundi 2 octobre 2006
« BOUCLE-LA ! » Le titre du New York Daily News, vendredi 22 septembre, ne brillait pas par son élégance, mais il résumait bien la réaction des Américains après le passage de « l’ouragan Chavez » à New York. A la tribune des Nations unies, Hugo Chavez a qualifié George Bush de « diable » et affirmé que l’odeur du « soufre » régnait encore sur la salle de l’Assemblée générale, où le président américain s’était exprimé la veille.
Vingt-quatre heures plus tard, se rendant dans une église baptiste d’Harlem pour s’adresser aux Américains défavorisés – comme l’avait fait Fidel Castro au début des années 1960 –, il en a rajouté sur le mode religieux : « Parfois, le diable prend forme humaine », a-t-il lancé à propos du président américain.
Le leader bolivarien s’est surtout fait remarquer par une bévue à propos de l’intellectuel radical Noam Chomsky. A la tribune de l’ONU, M. Chavez a brandi l’un des livres du linguiste – Hegemony and Survival : America’s Quest for Global Dominance (Henry Holt éditeur), un pamphlet contre la politique étrangère américaine –, en conseillant aux Américains de « lire Chomsky plutôt que de regarder Superman ». Interrogé par la suite, il a indiqué que l’un de ses grands regrets avait été de ne pas avoir rencontré Chomsky « avant sa mort »…Le New York Times a fait réagir le linguiste sur sa mort prématurément annoncée… Agé de 77 ans, M. Chomsky a indiqué avoir reçu plus de 10 000 messages en 24 heures. Il a fait preuve de mansuétude à l’égard de Hugo Chavez : « L’administration Bush a soutenu un coup d’Etat pour le renverser… »
L’écrivain nord-américain est l’un des auteurs les plus traduits dans le monde, mais ses livres sont rarement des bestsellers aux Etats-Unis. Il devra au leader du Venezuela l’un de ses meilleurs succès. Après sa diatribe à l’ONU, diffusée dans le monde entier, les ventes de Hegemony and Survival ont grimpé, en 48 heures, de la 26 000e à la troisième place dans la liste des meilleures ventes en ligne sur Amazon.com ! Le livre est aussi numéro trois des ventes dans les chaînes de librairies américaines Barnes & Noble, et l’éditeur américain a dû faire en urgence un retirage de 25 000 exemplaires.
Comme le souligne André Schiffrin, l’un des éditeurs américains de Chomsky, « Chavez fait mieux qu’Oprah Winfrey », l’animatrice de télévision dont l’émission littéraire est la plus influente des Etats-Unis. En France, le livre de M. Chomsky a été publié en septembre 2004 sous le titre Dominer le monde ou sauver la planète : l’Amérique en quête d’hégémonie mondiale, par Fayard, qui en a vendu 8 000 exemplaires. La version de poche, parue un an après chez 10/18, s’est écoulée à 6 500 exemplaires.
La France fait figure d’exception en Europe. C’est le seul pays où aucun livre du linguiste n’atteint les 100 000 exemplaires. Pèse en effet sur lui un soupçon de négationnisme, depuis qu’un de ses textes a servi, en 1980, de préface à un ouvrage de Robert Faurisson. Un texte utilisé sans son accord, précise André Schiffrin, qui estime qu’en aucun cas « on ne peut reprocher à Chomsky d’approuver le négationnisme de Faurisson ».
Noam Chomsky a vu difficilement ses textes traduits en français, au début des années 1990, d’abord chez Aden, en Belgique, puis au Serpent à plumes, chez Fayard, Agones et aux Arènes. Depuis le 11-Septembre, il connaît néanmoins un succès croissant.
Alain Beuve-Méry et Corine Lesnes
(New York, envoyée spéciale)
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